mardi 3 août 2010

Thérèse d'Avila, Vie 20 (2) , extraits



Thérèse d'Avila Vie, Chapitre 20 (2), extraits
Avec l'Ordre du Carmel qui se prépare au V° centenaire de la naissance de Sainte Thérèse de Jésus (d'Avila), nous vous proposons une découverte pas à pas de son autobiographie


Je m'aperçois que je suis sortie de mon sujet, car j'avais commencé à traiter des ravissements; mais cette peine dont je viens de parler est plus qu'un ravissement, et voilà pourquoi elle produit les effets que j'ai décrits.
Je reviens donc aux ravissements et à leurs effets ordinaires. Souvent mon corps en devenait si léger, qu'il n'avait plus de pesanteur; quelquefois c'était à un tel point, que je ne sentais presque plus mes pieds toucher la terre. Tant que le corps est dans le ravissement, il reste comme mort, et souvent dans une impuissance absolue d'agir… Le plus souvent, le sentiment se conserve, mais on éprouve je ne sais quel trouble: et bien qu'on ne puisse agir à l'extérieur, on ne laisse pas d'entendre; c'est comme un son confus qui viendrait de loin. Toutefois, même cette manière d'entendre cesse lorsque le ravissement est à son plus haut degré, je veux dire lorsque les puissances, entièrement unies à Dieu, demeurent perdues en lui. Alors, à mon avis, on ne voit, on n'entend, on ne sent rien. Comme je l'ai dit précédemment dans l'oraison d'union, cette transformation totale de l'âme en Dieu est de fort courte durée; mais tant qu'elle dure, aucune puissance n'a le sentiment d'elle-même, ni ne sait ce que Dieu opère. Cela dépasse sans doute la portée de notre entendement sur cette terre, et nous devons être incapables de recevoir une si haute lumière; du moins, Dieu ne veut pas nous la donner. C'est ce que j'ai vu par ma propre expérience.

Ici peut-être vous me demanderez, mon père, comment le ravissement se prolonge quelquefois plusieurs heures. D'après ce que j'ai souvent éprouvé, le ravissement, comme je l'ai dit de l'oraison précédente, n'est pas continu; l'âme en jouit seulement par intervalles. A diverses reprises elle s'abîme, ou plutôt Dieu l'abîme en lui; et après qu'il l'a tenue en cet état un peu de temps, la volonté seule demeure unie à lui. Dans les deux autres puissances, il se manifeste un mouvement semblable à celui de l'ombre de l'aiguille des cadrans solaires, laquelle ne s'arrête jamais. Mais quand le soleil de justice le veut, il sait bien les faire arrêter; et c'est là ce qui, à mon sens, est de très courte durée. Cependant, comme le transport ou élévation de l'esprit a été puissant, la volonté, malgré les nouveaux mouvements des deux autres facultés, reste abîmée en Dieu. En même temps, agissant en souveraine, elle produit sur le corps l'opération que j'ai marquée, afin que si les deux autres puissances s'efforcent par leur agitation de troubler sa paix, elle soit libre du moins des attaques de ses sens, les moindres de ses ennemis. Elle les suspend donc, parce que telle est la volonté du Seigneur...


Que celui à qui Dieu fait une si grande faveur n'ait donc pas de peine de se trouver, pendant plusieurs heures, le corps comme lié, et parfois, la mémoire et l'entendement distraits. Le plus souvent, à la vérité, la distraction de ces deux puissances ne consiste qu'à se répandre en louanges de Dieu, dont elles sont comme enivrées, ou à tâcher de comprendre ce qui s'est passé en elles. Encore ne peuvent-elles le faire à leur gré, vu que leur état ressemble à celui d'un homme qui, après un long sommeil rempli de rêves, n'est encore qu'à demi éveillé…
Devenue gouverneur de la citadelle, l'âme monte ou plutôt est transportée à la plus haute tour, pour y arborer la bannière de Dieu. De cette hauteur où elle se voit en sûreté, elle regarde ceux qui sont dans la plaine; loin de redouter les dangers, elle les désire, parce que Dieu lui donne comme la certitude de la victoire. Celui qui est placé en un lieu élevé porte au loin son regard: ainsi l'âme découvre très clairement le néant de tout ce qui est ici-bas, et le peu d'estime qu'on doit en faire. Désormais elle ne veut plus avoir de volonté propre; elle voudrait même ne plus avoir de libre arbitre, afin d'être délivrée des combats qu'il lui suscite. Elle supplie le Seigneur de. lui accorder cette grâce: elle lui remet les clefs de sa volonté. La voilà donc, cette âme, de jardinier devenue gouverneur de citadelle. Elle ne veut faire en tout que la volonté de son maître. Elle ne veut être maîtresse ni d'elle-même ni de quoi que ce soit, non pas même du moindre petit fruit du jardin confié à ses soins. S'il produit quelque chose de bon, que le maître le distribue comme il le jugera à propos. Quant à elle, son unique vœu désormais est de ne rien posséder en propre, et de voir le Seigneur disposer de tout, selon les intérêts de sa gloire et de son bon plaisir.
Quant à moi, je sais très bien, et j'ai vu par expérience, qu'un ravissement d'une heure, d'une durée même plus courte, suffit, quand il vient de Dieu, pour donner à l'âme l'empire sur toutes les créatures, et une liberté telle, qu'elle ne se connaît plus elle-même. Elle voit bien qu'un si grand trésor ne vient point d'elle; elle ne sait même pas comment il lui a été donné; mais elle voit, avec évidence, les immenses avantages que lui apporte chacun de ces ravissements...

Quel empire est comparable à celui d'une âme qui, de ce faîte sublime où Dieu l'élève, voit au-dessous d'elle toutes les choses du monde, sans être captivée par aucune? Qu'elle est confuse de ses attaches d'autrefois! Comme elle s'étonne de son aveuglement! Quelle compassion elle porte à ceux qu'elle voit dans les mêmes ténèbres, surtout si ce sont des personnes d'oraison, et envers qui Dieu se montre déjà prodigue de ses faveurs! Elle voudrait élever sa voix pour leur faire connaître combien ils s'égarent; quelquefois même elle ne peut s'en défendre, et alors mille persécutions pleuvent sur sa tête... Elle voudrait les voir libres de la prison de cette vie, où elle a été enchaînée elle-même; car, elle le voit clairement, c'est bien d'une prison qu'elle a été tirée.
Elle gémit d'avoir été jadis sensible au point d'honneur, et de l'illusion qui lui faisait regarder comme honneur ce que le monde appelle de ce nom. Elle n’y voit plus qu’un immense mensonge, dont nous sommes tous victimes. Elle comprend que l'honneur digne de ce nom n’est point mensonger, mais très véritable, qu'il estime ce qui mérite de l'être qu'il considère comme un néant ce qui est un néant, car tout ce qui prend fin et n'est pas agréable à Dieu est néant, et moins encore que le néant. Elle se rit d'elle-même en songeant qu'il y a eu un temps dans sa vie où elle a fait quelque cas de l'argent, et où elle en a eu quelque désir…
Qu'achète-t-on avec cet argent dont on a soif? Est-ce un bien de quelque prix? est-ce un bien durable et pourquoi le veut-on? Quel lugubre repos on se procure, et qu'il coûte cher! Souvent, avec cet argent, on descend en enfer et l'on achète un feu qui ne s'éteint pas, Un supplice sans fin. Oh! si les hommes pouvaient tous le regarder comme un peu de boue inutile, quelle harmonie régnerait dans le monde! Quel affranchissement des soucis qui nous troublent! Avec quelle amitié tous se traiteraient mutuellement, si l'intérêt de l'honneur et de l'argent disparaissait de la terre! Pour moi, je tiens que ce serait le remède à tout.
L'âme voit de quel aveuglement sont frappés les esclaves des plaisirs, et comment, par ces plaisirs, ils n'acquièrent, dès cette vie même, que des peines et des troubles amers. Quelle inquiétude quel peu de contentement! comme ils travaillent en vain!...

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