mercredi 21 décembre 2011

Homélie de Mgr Vincent Jordy, 14 Décembre

Homélie de Mgr Vincent Jordy
Carmel de saint-Maur

Messe de Saint Jean de la Croix,
14 Décembre



Mes sœurs,

En ce jour l’Eglise toute entière, mais particulièrement la famille du Carmel, fête saint Jean de la Croix. Fêter saint Jean de la Croix, c’est tout à la fois fêter un saint, fêter un saint du Carmel et fêter un saint du Carmel qui est docteur de l’Eglise. Chacune de ces mentions, saint, saint du Carmel, docteur de l’Eglise, vous donne, nous donne des lumières pour notre propre vie de foi et notre vie chrétienne.

1-Nous fêtons avant tout en ce jour un saint.

Or parler de la sainteté n’est pas une réalité anodine ou secondaire dans l’Eglise. En effet, il y a de cela près de 11 ans, le Pape Jean-Paul II, en clôturant la grande année jubilaire du passage au 3° millénaire, nous rappelait que toute la mission de l’Eglise doit avoir comme horizon le mystère de la sainteté. Et le Pape poursuivait en rappelant que, si la question de la sainteté est essentielle pour l’Eglise, ce n’est pas pour une raison de simple « dévotion », mais c’est parce que la question de la sainteté est au cœur même du Concile Vatican II et de la compréhension de l’Eglise.

En effet rappelons-nous que le concile Vatican II, dont nous fêtons les 50 ans l’an prochain, nous a parlé du mystère de l’Eglise et du fait que nous en sommes membres par le baptême. Mais ce que le Concile nous a surtout dit d’essentiel, c’est que tous les membres de l’Eglise, pour la simple mais fondamentale raison qu’ils ont été baptisés, sont appelés à déployer cette vie reçue au baptême pour devenir des saints ; le Concile Vatican II parle d’un « appel universel des baptisés à la sainteté ». On est même en droit de dire aujourd’hui que le Concile Vatican II n’est finalement pas encore vraiment connu dans ce qu’il a de plus essentiel, car de nombreux baptisés ne savent pas ce que signifie cet appel, ou ont peu entendu parler de cet appel solennel du Concile.

En fêtant saint Jean de la Croix, en nous le donnant comme modèle, l’Eglise nous redit donc à tous en ce soir quelle est notre vocation fondamentale. Elle nous invite à garder notre cœur libre pour ne pas perdre de vue ce qui est le but de notre existence chrétienne. Nous le savons bien, dans nos vies quotidiennes – et cela peut aussi arriver à l’abri de la clôture – nous risquons parfois d’être submergés par la contingence, les informations, les nouvelles, ce qui est à faire ou à ne pas faire. L’urgence nous porte parfois à perdre de vue la finalité, le but, de notre existence, à nous laisser emporter par le tourbillon de nos obligations qui perdent peu à peu leur sens profond. La figure des saints, que l’Eglise nous donne comme modèles au cours de l’année liturgique, nous remet dans la pleine lumière de notre vocation fondamentale : nous sommes appelés à vivre comme des saints et ce but n’est pas au-dessus de nos forces.

La sainteté en effet, telle que l’entend l’Eglise, ne signifie pas le fait de vivre d’une manière hors de notre portée. La sainteté, pour le concile, c’est la communion d’amour que nous sommes appelés à vivre avec nos frères et avec le Dieu Trinité. La sainteté, c’est développer le don de la grâce baptismale, cette participation à l’amour trinitaire qui nous a été communiqué au moment où nous sommes devenus enfants de Dieu. La sainteté, c’est vivre sous la conduite de l’Esprit Saint qui est en nous et qui verse en nous la charité à la mesure de notre disposition et de la capacité que nous lui offrons. De cela, tout baptisé est capable, quel que soit son état de vie.

2-En ce jour nous fêtons un saint, un saint qui nous redonne la finalité de notre vie chrétienne ; mais nous fêtons aussi un saint du Carmel.

Car si le but de la vie chrétienne c’est la sainteté, que l’on soit consacré, marié ou ordonné, cette sainteté, cette unique sainteté du Christ dont nous sommes appelés à vivre, peut être mise en œuvre de bien des manières. S’il s’agit d’être en communion d’amour avec Dieu et avec nos frères, les chemins, les modalités concrètes sont variés.

A la suite de votre Père saint Jean de la Croix, vous avez fait le choix, mes sœurs, de vivre le chemin de la sainteté dans la grâce du Carmel. Cette grâce, quelle est-elle ? Elle consiste à faire le choix d’un chemin d’union dans l’amour qui passe par deux moyens éminemment féconds, qui sont la solitude avec Dieu et l’oraison. Ce choix de la solitude priante, les premiers solitaires du Carmel l’ont vécu il y 8 siècles déjà. C’est cette solitude que votre Mère sainte Thérèse d’Avila voudra retrouver en réformant le Carmel ; c’est cette solitude, qui l’attirait d’abord vers la chartreuse, que son « petit Sénèque », saint Jean de la Croix, voudra choisir lui aussi. Ces amis de Dieu, Thérèse, Jean et tant d’autres, nous disent, par-delà les siècles, que c’est dans la solitude, dans une solitude orientée vers le mystère de Dieu, que l’union d’amour peut se faire. En cela que font-ils, sinon imiter Jésus lui-même que ses disciples cherchaient au matin, avant le lever du soleil, et qu’ils trouvaient à l’écart, tout orienté vers son Père, seule source susceptible de le combler.

En venant au désert du Carmel, vous êtes entrées dans ce lignage qui vous invite peu à peu à découvrir la solitude comme étant l’espace habité par Celui qui vous attend. Par votre silence choisi, assumé, vous laissez l’Esprit Saint creuser votre cœur pour trouver toujours plus facilement ce lieu où Quelqu’un demeure en vous pour que vous appreniez à demeurer en lui. C’est dans cette « demeurance », cette communion quotidienne, que vous entrez peu à peu dans la « demeurance », la communion du Père et du Fils dans l’unique Esprit, ou plus exactement que, parfois à votre insu, Dieu lui-même vous invite à demeurer en Lui, à être uni à Lui. Et plus cette intimité est forte, plus la communion se fait en Dieu, plus cette communion déborde en grâce pour toute l’Eglise. votre Père Saint Jean de la Croix, n’a-t-il pas dit « qu’un seul acte de pur amour est plus utile à toute l’Eglise que toutes les autres œuvres réunies ». Mais qui comprend encore cela aujourd’hui à notre époque où prime l’apparente efficacité…

3-En fêtant saint Jean de la Croix nous fêtons un saint, un saint du Carmel ; nous fêtons enfin un docteur de l’Eglise.

Que saint Jean de la Croix soit Docteur de l’Eglise, cela veut dire que le chemin de vie spirituelle, le chemin de sainteté qu’il a parcouru, est un modèle sûr pour tout baptisé. Saint Jean de la Croix est pour l’Eglise le docteur mystique. Nous savons combien cette formule, parce qu’elle est mal comprise, peut faire peur. On a pu, à certains moments de l’histoire, penser que parler de mystique signifiait parler de choses extraordinaires, ou de phénomènes étranges. En fait, au plan strictement théologique, la mystique est tout simplement, comme vous le savez, une certaine qualité de l’expérience spirituelle qui se reconnaît à sa dimension de passivité. La personne fait l’expérience d’être mûe par Dieu lui-même, ou plus exactement elle expérimente réellement l’action des dons du Saint Esprit en elle. Saint Jean de la Croix, par sa conduite sûre, enseigne un détachement radical du sens, du sensible, pour vivre dans la foi et permettre que rien n’entrave cette action de l’Esprit dans une vie. En ce sens, il nous rappelle que le saint, plus encore le mystique, sont des baptisés qui vérifient expérimentalement dans la chair ce que nous enseigne la foi de l’Eglise : « la mystique, c’est la science expérimentale de Dieu », disait saint Thomas d’Aquin, c’est la vérification par l’expérience du poids de vérité du dogme.

De ce mystère, mes sœurs, vous avez à être les témoins. Par votre vie donnée à la suite de votre Père saint Jean de la Croix, vous êtes le signe d’une pleine disponibilité à l’action de l’Esprit Saint dans une solitude et un silence recherché pour vous laisser transfigurer par la grâce. Merci d’être ces témoins, merci d’œuvrer de manière cachée au sein de l’Eglise, merci de transmettre la sagesse de la vie spirituelle à tous ceux et toutes celles qui viennent chercher l’eau vivre pour étancher la soif que Dieu seul peut combler ; tout baptisé a à redécouvrir l’appel à la sainteté, l’expérience d’un certain silence intérieur et de la prière profonde.

Que Marie Reine et Beauté du Carmel, modèle de silence et de fécondité, vous donne à sa suite d’engendrer le Christ pour le monde.
Amen+

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