dimanche 18 mars 2012

Thérèse d'Avila, Fondations 1, extraits

Thérèse d'Avila

Livre des Fondations 
(traduction Marcelle Auclair), extraits
 Avec l'Ordre du Carmel qui se prépare au V° centenaire de la naissance de Sainte Thérèse de Jésus (d'Avila), nous vous proposons une découverte du Livre des Fondations.

FONDATION DE SAINT JOSEPH DU CARMEL

DE MEDINA DEL CAMPO


CHAPITRE PREMIER

1 Saint Joseph d'Avila étant fondé, j'y demeurai cinq ans; je comprends maintenant que ce furent les années les plus paisibles de ma vie; mon âme regrette souvent leur calme et leur quiétude. En ce temps-là y entrèrent quelques jeunes filles fort religieuses que le monde semblait pourtant s'être acquises, à en juger par les recherches de leur luxe. Le Seigneur les tira en toute hâte de ces vanités, il les amena dans sa maison et les doua de perfections telles que j'en fus confondue; elles atteignirent le nombre de treize, chiffre qu'il était convenu de ne pas dépasser.

2 Je me délectais dans la compagnie d'âmes si saintes et si limpides, en un lieu où leur unique soin était de servir et de louer Notre-Seigneur…Moi, leur supérieure, je ne me rappelle pas avoir appliqué mon esprit à nos besoins; je croyais fermement que le Seigneur ne ferait pas défaut à celles qui ne s'inquiétaient que de savoir comment le contenter. Lorsqu'il n'y avait pas de quoi les nourrir et que je demandais de donner ce dont nous disposions à celles qui en avaient le plus besoin, nulle n'estimait y avoir droit: il en était ainsi jusqu'à ce que Dieu envoyât ce qu'il fallait pour toutes…

6 Cette misérable se trouvait donc au milieu d'âmes angéliques… les grâces, le désir de détachement que le Seigneur leur accordait, étaient immenses. Elles trouvaient leur consolation dans la solitude, et m'affirmaient ne jamais se lasser d'être seules; les visiteurs, fût-ce leurs frères et soeurs, leur étaient un tourment. Celle qui pouvait demeurer dans un ermitage se tenait pour la plus heureuse. Lorsque je considérais la vaillance de ces âmes et le courage que leur donnait Dieu pour souffrir à son service, je croyais comprendre que Dieu mettait en elles tant de richesses avec de grands desseins. Je n'avais pourtant pas idée de ce qui se réalisa par la suite, cela m'eût alors paru impossible, le principe même qui m'eût permis de l'imaginer me faisait défaut. Avec le temps grandissait mon désir d'être l'occasion du bien de quelques âmes, de même que le possesseur d'un trésor désire en faire profiter tout le monde, mais on lui attache les mains lorsqu'il veut le distribuerJe servais le Seigneur par mes pauvres prières, je m'efforçais d'inciter mes soeurs à en faire autant, leur donnant le goût du bien des âmes et celui de l'accroissement de son Église; quiconque avait affaire à elles était édifié. Mes grands désirs aboutissaient là.

7 Au bout de quatre ans, ou peut-être un peu plus, vint me voir un frère franciscain, nommé Frère Alonso Maldonado, grand serviteur de Dieu; comme moi il désirait le bien des âmes, il pouvait agir, et je l'enviais beaucoup. Il venait de rentrer des Indes. Il se mit à me parler des millions d'âmes qui se perdaient là-bas faute de doctrine, il nous exhorta à la pénitence dans un sermon et par sa conversation, et partit. Je restais si meurtrie par la perdition de tant d'âmes que j'en étais hors de moi. Je me retirai en larmes dans un ermitage; je clamais à Notre-Seigneur, je le suppliais de me donner le moyen de contribuer à lui gagner quelques-unes de ces âmes par mes prières, puisque le démon lui en enlevait tant, et que je ne servais à rien d'autre. J'enviais ceux qui pouvaient s'y employer pour l'amour de Notre-Seigneur, dussent-ils souffrir mille morts. Lorsque nous lisons dans la vie des saints qu'ils ont converti des âmes, j'en éprouve plus de dévotion, de tendresse, d'envie, que pour tous les martyres qu'ils subissent; car Notre-Seigneur m'a inclinée à croire qu'il apprécie une âme gagnée par nos prières et notre industrie aidées de sa miséricorde plus que tout ce que nous pouvons faire à son service.

8 Alors que j'étais ainsi en très grande peine, une nuit, en oraison, Notre-Seigneur …me dit avec beaucoup d'amour, comme s'il eût cherché à me consoler: "Attends un peu, ma fille, et tu verras de grandes choses." Ces mots se gravèrent dans mon cœur si fortement que rien ne pouvait m'en distraire. Et bien qu'il m'ait été impossible de deviner à quoi ils faisaient allusion, faute de pouvoir orienter mon imagination, je fus consolée, et persuadée que ces paroles disaient vrai; mais je n'imaginai point la façon dont elles devaient se réaliser…

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