mercredi 11 avril 2012

Thérèse d'Avila, Fondations 5, extraits

Thérèse d'Avila

Fondations, 5(traduction Marcelle Auclair), extraits

Avec l'Ordre du Carmel qui se prépare au V° centenaire de la naissance de Sainte Thérèse de Jésus (d'Avila), nous vous proposons une découverte du Livre des Fondations

Où l'on donne quelques avis relatifs à l'oraison et aux révélations. Ils seront même profitables à ceux qui mènent une vie active.

1 … Nombreuses sont les voies par lesquelles s'achemine l'esprit, il se peut donc que je réussisse à parler partiellement de l'une d'elles; si ceux qui ne la suivent pas ne me comprennent pas, c'est probablement qu'ils prennent des chemins différents…

2 Je veux d'abord, d'après mon pauvre entendement, traiter de la substance de la parfaite oraison. Car j'ai rencontré des gens pour qui toute l'affaire est dans la pensée; s'ils peuvent la fixer longuement sur Dieu, quand même ce serait par de grands efforts, ils se tiennent pour spirituels; s'ils s'en distraient, n'en pouvant plus, et serait-ce pour le bien, le désespoir s'empare d'eux, ils se croient perdus…  il faut comprendre que toutes les imaginations n'y sont pas naturellement portées, tandis que toutes les âmes sont douées pour aimer… je voudrais seulement faire comprendre que l'âme n'est pas la pensée, que ce n'est pas la pensée qui commande à la volonté, sous peine de grand dommage; pour le progrès de l'âme il résulte donc qu'il ne s'agit pas de penser beaucoup, mais de beaucoup aimer.

3 Comment acquérir cet amour? En décidant d'agir et de souffrir et en appliquant ce principe en toute circonstance. Il est vrai qu'il nous suffit de penser à ce que nous devons au Seigneur, à ce qu'il est, à ce que nous sommes, pour rendre notre âme intrépide; c'est méritoire, et fort utile aux débutants, à condition pourtant que nos devoirs d'obéissance ou d'assistance à notre prochain ne s'interposent pas. L'une et l'autre chose empiètent sur le temps que nous désirerions tant donner à Dieu, seules avec sa pensée, nous régalant de ses régals. Mais y renoncer pour n'importe laquelle de ces deux choses, c'est le régaler, lui, et agir comme il nous le dit de sa bouche: «toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un des plus petits de mes frères, c'est à moi que vous les avez faites ». Quant à l'obéissance, qui bien aime Notre-Seigneur ne voudra pas suivre un autre chemin que celui qu'il a suivi: «obediens usque mortem ».

4 Si tout cela est vrai, d'où vient le déplaisir que nous éprouvons presque toujours lorsque nous n'avons pas pu vivre isolés, absorbés en Dieu pendant la plus grande partie de la journée, bien que nous ayons été employés utilement? A mon avis, de deux causes: l'une, l'essentielle, est un mélange d'amour-propre si subtil que nous ne décelons pas combien nous préférons nous contenter plutôt que Dieu…

5 Ô charité de ceux qui aiment véritablement ce Seigneur, et le connaissent! Ils ne se reposeront guère, s'ils voient qu'il dépend moindrement d'eux d'aider une seule âme à progresser et à aimer Dieu davantage, de la consoler, ou de l'écarter d'un danger! Ils se reposeront mal, s'ils se reposent seuls! Quand ils ne peuvent agir par des actes, ils agiront par des prières, ils importuneront le Seigneur pour les nombreuses âmes qu'ils souffrent de voir se perdre. Ils perdent leurs délices, et les tiennent pour heureusement perdues, car ils oublient leur propre contentement pour ne songer qu'à faire la volonté du Seigneur, comme il sied à l'obéissance. II ferait beau voir que Dieu nous commandât clairement d'agir pour son service et que nous nous y refusions sous prétexte que nous préférons passer notre temps à le regarder!…

6 … comme il est certain que l'âme qui s'abandonne à vous, décidée à vous aimer, ne peut trouver meilleur moyen de vous plaire que l'obéissance, une fois qu'elle s'est assuré de ne rien désirer qui ne soit utile à votre service! Elle n'a pas besoin de chercher sa voie ni de la choisir, car sa volonté est la vôtre. Vous, mon Seigneur, prenez soin de la conduire là où elle pourra le mieux progresser…

8 … Donc allez, mes filles! Pas de désolation lorsque l'obéissance vous amène à vous appliquer aux choses extérieures; si c'est à la cuisine, comprenez que le Seigneur se trouve au milieu des marmites; il vous aide intérieurement et extérieurement...

10 Je crois que le démon oppose à l'obéissance, sous couleur de bien, des ennuis et difficultés infinis, sachant que le chemin de l'obéissance est celui qui conduit le plus rapidement à l'extrême perfection. Observez bien, et vous verrez clairement que je dis vrai. Il est clair que l'extrême perfection ne se trouve pas dans les régals intérieurs, ni dans les grandes extases, ni dans les visions, ni dans l'esprit de prophétie, mais bien dans une telle conformité de notre volonté avec celle de Dieu qu'il nous suffise de comprendre qu'il veut quelque chose pour que nous le voulions de toutes nos forces… l'amour, lorsqu'il est parfait, a le pouvoir de nous faire oublier notre propre contentement pour contenter celui que nous aimons…

12 Nous n'en aurions jamais fini de parler de cette bataille intérieure, tant il y a à dire, et tant le démon, le monde, notre sensualité, s'efforcent d'égarer la raison. Comment y remédier? De même que dans une querelle douteuse, les parties, lasses de plaider, font appel à un juge, que notre âme en prenne un, supérieur ou confesseur, avec la décision de ne plus disputer, de ne plus penser à notre cause, mais de nous fier aux paroles du Seigneur qui dit: «Qui vous écoute m'écoute », et de négliger notre propre volonté…

13 … Vous voyez, mes soeurs, que lorsque vous sacrifiez votre amour de la solitude vous en êtes bien récompensées. Je vous affirme que le manque de solitude ne vous empêchera jamais d'atteindre à l'union véritable qui consiste à obtenir que ma volonté soit une avec celle de Dieu. Telle est l'union que je désire et que je voudrais pour vous toutes; et point le très délectable anéantissement auquel on donne le nom d'union…



15 C'est là, mes filles, qu'il faut voir l'amour: pas dans les recoins, mais au milieu des occasions…Lorsque je dis que nous gagnons au contact du monde, c'est que nous y comprenons qui nous sommes, et jusqu'où va notre vertu. La personne qui vit toujours dans le recueillement, pour sainte qu'elle se croie, ne sait pas si elle est humble, patiente, et n'a aucun moyen de le savoir. De même, comment un homme saurait-il s'il est courageux s'il n'a pas été à la guerre? Saint Pierre se croyait tel, voyez ce que l'occasion fit de lui: mais il sortit de cette défaillance en sachant désormais ne plus se fier à lui-même, il s'en remit à Dieu, et il alla jusqu'au martyre, comme nous l’avons vu.

16 … Ce serait un peu fort, si nous ne pouvions faire oraison que dans les recoins! Je sais bien que cela ne pourrait durer longtemps; mais, ô Seigneur, quelle puissance a auprès de vous le soupir sorti du fond de nos entrailles, expression du chagrin d'être non seulement exilées, mais encore privées de jouir de vous dans la solitude!



17 C'est ainsi que nous lui prouvons que nous sommes ses esclaves, vendues volontairement et par amour de lui à la vertu d'obéissance, car pour nous y plier, nous cessons en quelque sorte de jouir de Dieu même. Cela n'est rien, si nous considérons qu'il est venu du sein du Père, par obéissance, se faire notre esclave. Comment pourrons-nous jamais reconnaître et payer cette faveur? Mais il sied, lorsque nous sommes dans l'action, même si nous n'agissons que par obéissance et charité, de ne pas négliger de nous tourner intérieurement vers Dieu. Croyez-moi: ce n'est pas la longueur du temps passé dans l'oraison qui profite à notre âme; son bon emploi dans l'action nous est d'un grand profit, et quelques instants de travail nous embrasent d'amour mieux que de nombreuses heures de considération. Tout doit nous venir de la main du Seigneur. Qu'il soit béni à présent et toujours.

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