lundi 16 avril 2012

Thérèse d'Avila, Fondations 6, extraits

Thérèse d'Avila

Fondations, 6 (traduction Marcelle Auclair), extraits

Avec l'Ordre du Carmel qui se prépare au V° centenaire de la naissance de Sainte Thérèse de Jésus (d'Avila), nous vous proposons une découverte du Livre des Fondations


Du danger qu'il peut y avoir pour les spirituels à ignorer quand il faut résister à l'esprit. - Du désir de la communion et des illusions qui peuvent le susciter. - Questions importantes pour celles qui gouvernent ces maisons.


1 … il est fréquent de commencer une oraison de quiétude dans une sorte de sommeil spirituel qui engourdit l'âme; faute alors de savoir comment procéder, nous pouvons perdre beaucoup de temps, user nos forces par notre propre faute, et avec peu de fruit.

2 Je voudrais me faire comprendre, c'est difficile, et je ne sais si je m'en tirerai; mais les âmes qui ont été ainsi abusées me comprendront, si elles veulent me croire. J'en ai connu, de haute vertu, qui passaient sept ou huit heures dans un état qu'elles croyaient être de ravissement; le moindre exercice vertueux s'emparait d'elles d'une façon telle qu'elles s'abandonnaient, persuadées qu'on ne doit pas résister au Seigneur; de quoi peu à peu les tuer ou les rendre idiotes, si elles n'y remédient pas. Il m'apparaît dans ce cas que lorsque le Seigneur commence à choyer une âme, notre nature, amie du plaisir, se complaît en ces délices, elle ne voudrait même pas bouger, et ne les perdre sous aucun prétexte…

3 … qu'il y ait mélancolie ou non, ce que je viens de dire se manifeste tout aussi bien chez des personnes usées dans la pénitence: elles cèdent à l'amour lorsqu'il séduit les sens. Il m'est avis qu'elles aimeraient d'autant mieux qu'elles ne se laisseraient pas abêtir, car, à ce point de l'oraison, elles peuvent très bien résister. Dans l'extrême faiblesse une défaillance nous laisse sans mouvement et sans voix; il en est de même dans l'état dont je parle si on n'y résiste pas: car si le naturel est faible, la force de l'esprit l'empoigne et le maintient.

4 On peut demander en quoi cet état diffère du ravissement, les apparences sont les mêmes, mais la réalité est tout autre. Le ravissement, ou union de toutes les puissances de l'âme avec Dieu, est, comme je le dis, de courte durée, ses bienfaits sont immenses, il laisse l'âme baignée de lumière intérieure, l'entendement n'agit en rien, c'est le Seigneur qui .agit sur la volonté. Il en est bien différemment dans l'autre cas; le corps est prisonnier, mais la volonté, l'entendement, la mémoire, restent libres; ces facultés opèrent dans une sorte d'égarement; si par hasard une idée les occupe, elles y adhèrent de toutes leurs forces.


5 J'estime que l'âme n'a rien à gagner à ces défaillances du corps, …le temps passé à ces obsessions peut s'employer plus utilement; un seul acte, l'éveil fréquent de la volonté à l'amour de Dieu, nous acquièrent plus de mérite que ces temps d'arrêt. Je conseille donc aux prieures de proscrire ces longues pâmoisons, - ce n'est, à mon avis pas autre chose, - dont le seul résultat est de paralyser les facultés et les sens; l'âme, à laquelle ils n'obéissent plus, est ainsi privée des biens spirituels qu'un peu de prudence pourrait lui acquérir. …
7 … C'est servir le Seigneur que d'imposer aux personnes dont la tête et l'imagination s'égarent aisément de se bien comprendre elles-mêmes. Celle qui constatera que son imagination s'est arrêtée sur l'un des mystères de la Passion, sur la gloire du Ciel, ou sur quelque autre sujet analogue sans qu'il lui soit loisible pendant plusieurs jours de penser à autre chose parce qu'entièrement absorbée dans ces considérations, devra s'en détourner à tout prix; sinon, au bout de peu de temps le dommage qui en résulterait prouverait que cela provient de ce que j'ai signalé: défaillance du corps, ou, ce qui est pire, de l'imagination

8 Je ne dis pas qu'il faille changer souvent l'objet de la méditation au cours d'une heure ou même d'une journée: ce serait n'en goûter aucun…

15 Qu'il soit donc bien entendu que nous devons nous méfier de tout ce qui nous prive du libre usage de la raison, car ce n'est pas ainsi que nous gagnerons la liberté de l'esprit; elle nous est nécessaire pour trouver Dieu en toutes choses et pouvoir penser à lui. Tout le reste n'est qu'assujettissement de l'esprit, et sans mentionner combien cela nuit au corps, c'est ligoter l'âme et l'empêcher de grandir; de même, le voyageur qui tombe dans une ornière ou un bourbier ne peut poursuivre sa route; l'âme, pour avancer, doit non seulement marcher, mais voler.

21 Croyez-moi, l'amour de Dieu (plus exactement son faux semblant), qui agite les passions de façon telle que nous en arrivons à l'offenser, ou qui trouble la paix de l'âme amoureuse au point de lui faire oublier la raison, n'est que recherche de nous même; le démon ne s'endormira pas, il nous acculera et nous fera autant de mal qu'il le pourra…

22 J'en ai parlé ainsi pour que les prieures soient sur leur garde, que les soeurs aient crainte, considèrent et s'examinent sur la façon dont elles reçoivent une si grande grâce. Si elles cherchent à contenter Dieu, elles savent maintenant qu'il préfère l'obéissance au sacrifice. S'il en est ainsi, et si je mérite mieux, qu'est-ce qui peut me troubler? …il est clair que la volonté qui est complètement détachée de tout intérêt personnel ne regrettera jamais rien, elle se réjouira au contraire de faire à Dieu un si coûteux hommage…

Aucun commentaire: