mardi 24 avril 2012

Thérèse d'Avila, Fondations 7, extraits

Thérèse d'Avila

Fondations, 7 (traduction Marcelle Auclair), extraits


Avec l'Ordre du Carmel qui se prépare au V° centenaire de la naissance de Sainte Thérèse de Jésus (d'Avila), nous vous proposons une découverte du Livre des Fondations

Comment les supérieurs doivent agir à l'égard des mélancoliques.

1 Mes soeurs de Saint Joseph de Salamanque, d'où j'écris actuellement ceci, ont beaucoup insisté pour que je leur dise comment elles doivent agir envers celles qui sont d'humeur mélancolique; car bien que nous évitions de les accepter parmi nous, ce mal est si subtil qu'il fait le mort quand c'est nécessaire. On ne le constate donc que lorsqu'il est sans remède… Les inventions de cette humeur pour en venir à ses fins sont si nombreuses qu'il sied de les déceler afin de savoir comment la supporter et la gouverner sans que les autres religieuses en pâtissent.

2 Il faut savoir que tous les mélancoliques ne causent pas d'égales difficultés; lorsque cette humeur affecte un sujet humble, au doux caractère, il souffre sans nuire aux autres, surtout lorsque l'entendement est bon. Et puis cette humeur est plus ou moins prononcée…

3 Envers celles qui montrent les premiers symptômes d'un mal aussi néfaste, avant même qu'il soit confirmé, il faut user du même remède lorsque d'autres artifices sont insuffisants; les supérieures doivent se servir des pénitences de notre Ordre afin de les maîtriser jusqu'à ce qu'elles comprennent qu'elles n'obtiendront en rien ni pour rien ce qu'elles veulent. Car si elles comprennent que leurs clameurs et les marques de désespoir que le démon leur inspire pour tout gâcher réussissent parfois, elles sont perdues, et une seule suffit à perturber tout un monastère. La pauvre petite ne trouve pas de défense en elle-même contre ce que lui souffle le démon; sa supérieure doit donc se montrer très avisée pour la gouverner non seulement intérieurement, mais aussi extérieurement; le démon cherche à se servir de la mélancolie pour asservir cette âme; la supérieure doit donc avoir l'esprit d'autant plus clair que celui de la malade est plus obscurci… Si nous les examinons, nous voyons qu'elles s'efforcent surtout de n'en faire qu'à leur tête, dire tout ce qui leur vient à la bouche, trouver chez les autres des fautes qui justifient les leurs, se complaire en tout ce qui est leur bon plaisir; elles agissent, enfin, comme tous ceux qui ne trouvent pas en eux la force de se dominer…

4 … Dieu fait une grande grâce à celles qui sont en proie à ce mal lorsqu'elles se soumettent à une autorité; c'est la seule chance qu'elles aient de se tirer des dangers dont j'ai parlé. Par l'amour de Dieu, si l'une d'elles lit ceci, qu'elle comprenne bien qu'il y va, d'aventure, de son salut.

5 Je connais des personnes dont il se faut de peu qu'elles ne perdent tout à fait la raison, mais leur âme est humble, elles craignent tant d'offenser Dieu que, secrètement ravagées par les larmes, elles ne font que ce qu'on leur commande et n'agissent pas autrement que les autres; ce plus grand martyre leur vaudra une plus grande gloire: elles vivent sur terre leur purgatoire et n'auront pas à le faire là-bas…

7 … La prieure qui par pitié entreprendrait de laisser leur liberté aux mélancoliques se trouvera à la fin des fins dans une situation intolérable; et elles auront déjà beaucoup nui aux autres lorsqu'elle voudra y remédier… Quand il s'agit de natures indépendantes, manquant d'humilité, indomptées, je crois vraiment que c'est moins cette humeur qui leur nuit que leur caractère même. J'ai vu nombre d'entre elles céder et se dominer lorsqu'on réussit à leur inspirer de la crainte; pourquoi ne pourraient-elles pas se vaincre elles-mêmes pour Dieu? …

9 … Les prieures verront que le meilleur remède est de leur imposer des fonctions qui ne leur laissent pas le temps de rêver, car leur imagination cause tout leur mal; quand bien même elles ne s'en acquitteraient pas parfaitement, mieux vaut leur pardonner quelques fautes que de souffrir de plus grosses erreurs qui les perdraient. Le travail est pour elles le meilleur des remèdes. Il faut donc leur laisser peu de temps pour l'oraison, même en période normale; leur imagination, fragile chez la plupart d'entre elles, leur fait grand tort; faute d'y prendre garde, elles auront des caprices aussi incompréhensibles pour elles-mêmes que pour leur entourage…




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