mardi 7 août 2012

Thérèse d'Avila, Fondations 17, extraits

Thérèse d'Avila
Fondations, 17 (traduction Marcelle Auclair), extraits

Avec l'Ordre du Carmel qui se prépare au V° centenaire de la naissance de Sainte Thérèse de Jésus (d'Avila), nous vous proposons une découverte du Livre des Fondations

De la fondation des monastères de Pastrana, - religieux et religieuses, - en cette même année de 1569.

1 Il y avait quinze jours que la maison de Tolède était fondée, nous étions à la veille de la Pentecôte… il y avait eu beaucoup de travail, j'étais fatiguée d'avoir passé ces journées avec les ouvriers, mais enfin tout était terminé. Ce matin-là, en prenant place au réfectoire pour déjeuner, c'était pour moi une si grande consolation de songer que je n'avais plus rien à faire, que je pourrais, pour la Pentecôte, me réjouir un moment avec Notre-Seigneur, que j'en perdais presque le manger, tant mon âme était comblée.

2 Je ne méritais pas cette consolation, car à ce même instant, on vint m'annoncer l'arrivée d'un serviteur de la princesse d'Eboli, femme du Ruy Gomez de Silva. J'allai le voir, et j'appris qu'elle m'envoyait chercher, car nous étions d'accord depuis longtemps, elle et moi, pour fonder un monastère à Pastrana; je ne pensais pas que cela se fasse aussi vite. J'en fus peinée, la fondation de Tolède était si récente, il y avait eu de l'opposition, il me semblait très dangereux de tout quitter; je décidai donc immédiatement de ne pas partir, et je le dis…

3 … J'allai devant le Très Saint-Sacrement demander au Seigneur de m'accorder d'écrire à la princesse une lettre qui ne la fâchât point, ce qui nous eût nui, car pour les couvents réformés d'hommes que nous commencions à fonder, et pour toutes choses, l'appui de Ruy Gomez, si bien vu par le roi et par tout le monde, nous était nécessaire… J'en étais là lorsqu'on me dit de la part de Notre-Seigneur de ne pas manquer d'y aller … et d'emporter la Règle et les Constitutions.

5 Je quittai Tolède le lendemain de la Pentecôte. Il fallait passer par Madrid; mes compagnes et moi descendîmes dans un couvent de Franciscaines, chez une dame nommée Dona Leonor Mascarenas qui l'avait fondé et s'y était retirée…

6 Cette dame me dit se réjouir particulièrement de notre arrivée à ce moment car un ermite était là qui souhaitait fort me connaître…Il habitait une pièce que cette dame lui donnait, avec un jeune frère nommé Fr. Jean de la Misère, grand serviteur de Dieu et très simple dans les choses du monde. Au cours de notre conversation il me dit qu'il voulait aller à Rome.

7 … ce Père, nommé Mariano de San Benito. Il était italien, docteur, fort intelligent et habile…

8 … Il apprit que plusieurs ermites, vivaient ensemble, près de Séville, dans un désert appelé le Tardon, avec pour supérieur un très saint homme, qu'ils nommaient le P. Mateo. Chacun d'eux avait sa cellule séparée, ils ne célébraient pas l'office divin et ne se retrouvaient dans un oratoire commun que pour la messe. Ils n'avaient pas de revenus, refusaient toute aumône, et vivaient du travail de leurs mains; chacun d'eux mangeait seul, très pauvrement. En l'entendant, je crus voir le portrait de nos saints Pères. Il vécut ainsi huit années. Lorsque le Saint Concile de Trente ordonna aux ermites d'entrer dans l'un des Ordres existants, il voulut aller à Rome demander l'autorisation de persévérer dans leurs usages; telle était son intention lorsque je lui parlai.

9 Quand il m'eut décrit leur manière de vivre, je lui montrai notre Règle primitive et lui dis qu'il pouvait observer tout cela sans se donner tant de mal car elle est identique à celle qu'ils se sont faite; en particulier, elle impose de ne vivre que du travail manuel ce à quoi il tient beaucoup… je lui expliquai donc combien il pourrait servir Dieu sous cet habit, et il me promit d'y réfléchir cette nuit…il m'appela le lendemain matin pour me dire qu'il était tout à fait décidé…

11 Il m'apprit que Ruy Gomez lui avait donné à Pastrana, où je me rendais, un bon ermitage et un terrain pour y installer des ermites; il voulait maintenant qu'ils soient de notre Ordre et y prendre l'habit. Je l'en remerciai, et je louai beaucoup Notre-Seigneur car notre Révérend Père Général m'avait envoyé son autorisation pour deux monastères, et un seul était fondé. ….

14 Mariano et son compagnon, les ermites dont j'ai parlé, arrivèrent alors, l'autorisation nous fut accordée, Ruy Gomez consentit à ce que l'ermitage qu'il avait donné devînt un ermitage de Carmes déchaux, et je fis venir de Mancera le P. Antoine de Jésus qui avait été le premier à professer notre Règle pour commencer la fondation de ce monastère. Je préparai leurs habits et leurs capes, et je fis tout mon possible pour qu'ils prennent l'habit immédiatement.

15 … Ces deux monastères fondés, le P. Antoine de Jésus arrivé, affluèrent des novices tels qu'on parlera un jour de quelques-uns d'entre eux; ils se mirent tous à servir Notre-Seigneur avec tant de conviction qu'on en fera le récit, si Dieu veut, mieux que je ne saurais le faire, dans ce cas, les mots me manqueraient.

16 Quant aux religieuses, leur monastère fut fort bien vu de ces seigneurs; la princesse prit grand soin de les choyer et de les bien traiter jusqu'à la mort du prince Ruy Gomez; alors, le diable, peut-être avec la permission du Seigneur, Sa Majesté le sait, exaspéra la passion que cette mort causa à la princesse; elle se fit religieuse dans ce monastère. Sa peine l'empêcha de goûter une claustration à laquelle elle n'était pas habituée, et d'après le Saint Concile la prieure ne pouvait lui octroyer les libertés qu'elle voulait.

17 Elle se brouilla avec elle et avec toutes les religieuses si bien que même après avoir quitté l'habit et être rentrée chez elle, elle leur en voulut encore; les pauvres soeurs vivaient dans une telle inquiétude que je m'efforçai de les libérer par tous les moyens à ma portée, et je suppliai les prélats de transférer ce monastère ailleurs; nous en fondions un à Ségovie, les religieuses de Pastrana y passèrent, abandonnant tout ce que la princesse leur avait donné, mais emmenant avec elles plusieurs religieuses qu'elle leur avait commandé de recevoir sans dot. Elles n'emportèrent que leurs lits et les menus objets qu'elles avaient apportés, laissant toute la population fort affligée



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