dimanche 16 septembre 2012

Thérèse d'Avila
Fondations, 22 (traduction Marcelle Auclair), extraits

Avec l'Ordre du Carmel qui se prépare au V° centenaire de la naissance de Sainte Thérèse de Jésus (d'Avila), nous vous proposons une découverte du Livre des Fondations


De la fondation du glorieux Saint-Joseph du Sauveur à Beas en l'année 1575, fête de saint Matthieu.

1 Au temps dont j'ai parlé, alors qu'on m'avait ordonné d'aller de l'Incarnation à Salamanque, un messager m'apporta de Beas des lettres d'une dame de cette ville, du curé, et d'autres personnes, me demandant d'aller y fonder un monastère; ils avaient une maison: il ne restait plus qu'à fonder.

2 ... considérant le grand nombre de lieues qui m'en séparaient, cela me parut de la folie; d'autant plus qu'il me faudrait un mandat du commissaire apostolique, qui je l'ai déjà dit, était opposé, ou du moins guère favorable à des fondations nouvelles; je voulus donc répondre sans lui en parler que cela m'était impossible. J'eus pourtant scrupule à ne pas le consulter, d'autant plus qu'il se trouvait alors à Salamanque, et que Notre Très Révérend Père Général m'avait donné pour consigne de ne jamais refuser une fondation.

3 Il vit les lettres, et me fit dire qu'il n'était pas d'avis de les décourager, leur dévotion le touchait; il me demandait d'écrire à ces personnes que l'on pourvoirait à la fondation lorsqu'elles auraient reçu l'autorisation de leur Ordre . Je pouvais être sûre, me disait-il, qu'on ne la leur donnerait pas, car il savait par les commandeurs qu'elles essayaient en vain de l'obtenir depuis des années, je n'avais donc pas à leur dire non. Je pense parfois à tout cela, qui prouve bien que lorsque Notre-Seigneur veut quelque chose que nous ne voulons pas, nous sommes ses instruments sans même nous en douter, comme le fut ici le P. Maître Fr. Pierre Fernandez, notre commissaire; lorsque le curé de Beas et cette dame reçurent l'autorisation, il ne put se récuser, et c'est ainsi que le couvent fut fondé.

4 Ce monastère du Bienheureux Saint- Joseph de la ville de Beas fut fondé le jour de la fête de saint Matthieu, en l'année 1575. Son origine fut la suivante, pour la plus grande gloire de Dieu. Il était en cette ville un gentilhomme nominé Sancho Rodriguez de Sandoval, de noble lignée, riche en biens temporels, époux d'une dame nommée Dona Catalina Godinez. Entre autres enfants que le Seigneur leur donna, ils eurent deux filles qui fondèrent le monastère dont je parle; l'aînée s'appelait Dona Catalina Godinez, et la cadette Dona Maria de Sandoval. L'aînée devait avoir quatorze ans lorsque le Seigneur l'appela. Jusqu'à cet âge, elle avait été très éloignée de l'idée de quitter le monde, elle était même particulièrement vaine, et les partis que son père lui proposait en vue de mariage lui semblaient tous indignes d'elle.

5 Un jour qu'elle se trouvait dans une chambre voisine de celle où son père était encore couché, elle lut par hasard au-dessus d'un crucifix la parole que l'on met sur la croix, et soudain, tandis qu'elle lisait, le Seigneur la retourna....

6 Dès qu'elle eut lu l'écriteau, il lui sembla que son âme s'emplissait d'une lumière qui lui révélait la vérité, comme si le soleil pénétrait dans une chambre obscure; ainsi éclairée, elle regarda le Seigneur qui était sur la croix tout ruisselant de sang, pensa aux mauvais traitements qu'il avait subis, à sa grande humilité, à la voie si différente qu'elle suivait, poussée par l'orgueil...Elle éprouvait un si vif désir de souffrir pour Dieu qu'elle souhaitait subir tout ce qu'ont subi les martyrs...

9 ... elle conçut le très vif désir d'entrer en religion et insista beaucoup auprès de ses parents; jamais ils n'y consentirent.

10 Après avoir réitéré sa demande pendant trois ans, et voyant qu'ils ne cédaient toujours pas, elle revêtit une robe modeste pour la fête de saint Joseph. Elle n'en avait parlé qu'à sa mère dont elle aurait facilement fini par obtenir de se faire religieuse si elle n'eût craint son père. Elle alla donc à l'église ainsi, espérant qu'une fois qu'on l'aurait vue en ville avec ces vêtements, on ne les lui retirerait point. Il en fut ainsi, son père passa outre. Pendant ces trois ans, elle avait ses heures d'oraison et se mortifiait en tout ce qu'elle pouvait; le Seigneur l'instruisait...

12 ...Il y avait cinq ans que Dieu lui avait accordé la grâce dont j'ai parlé, lorsque son père mourut; sa soeur, lorsqu'elle eut quatorze ans (un an après la transformation de son aînée), bien que fort encline à la parure, revêtit également une robe modeste, et commença aussi à faire oraison...

13 Cinq ans après la mort du père de ces dames, mourut leur mère. Dona Catalina, qui avait toujours eu la vocation religieuse, et qui n'avait pu convaincre ses parents, voulut aussitôt entrer au couvent. Comme il n'y en avait pas à Beas, sa famille lui conseilla d'en fonder un dans leur ville; elles avaient assez de biens, et ce serait servir mieux encore Notre-Seigneur. Beas dépendait de la Commanderie de Saint Jacques, il fallait l'autorisation du Conseil de l'Ordre, elle la demanda en toute diligence.

14 Les difficultés furent telles que quatre ans passèrent avant qu'elle ne l'obtienne, malgré énormément d'efforts et de dépenses; rien n'y fit, jusqu'à ce qu'elle adressât une supplique au roi lui-même. Devant tant de difficultés, sa famille disait que c'était de la folie et lui conseillait d'y renoncer; comme les graves maladies dont j'ai parlé la forçaient à garder le lit presque continuellement, on ajoutait qu'aucun monastère ne la recevrait. Elle répondit que si Notre-Seigneur lui accordait d'être en bonne santé un seul mois, ils verraient à ce signe qu'il le voulait...

15 La veille de Saint-Sébastien, un samedi, Notre-Seigneur lui rendit si complètement la santé qu'elle ne savait comment le cacher pour qu'on ne criât pas au miracle. Elle dit que lorsque Notre-Seigneur voulut la guérir, il lui fit éprouver un tremblement intérieur tel que sa soeur crut qu'elle allait mourir; elle constata en elle un très grand changement et se sentit tout autre jusqu'au fond de l'âme, tant l'amélioration fut notoire; sa joie de retrouver la santé venait du fait de pouvoir enfin s'occuper du monastère beaucoup plus que de ne pas souffrir...

18 ...Lorsque ses frères et ses proches virent la grâce et le miracle que le Seigneur avait accomplis en lui donnant subitement la santé, ils n'osèrent pas l'empêcher de partir bien que cela parût insensé. Elle resta trois mois à la Cour sans rien obtenir. Quand elle remit sa pétition au roi et qu'il sut qu'il s'agissait de Carmélites déchaussées, il lui fit accorder aussitôt l'autorisation.

19 Lorsqu'on en vint à la fondation du monastère, on vit bien qu'elle avait tout négocié avec Dieu, car les supérieurs consentirent à l'accepter, malgré l'éloignement et la précarité des revenus. Ce que veut Sa Majesté ne peut être éludé. Les religieuses arrivèrent donc au début du Carême, en l'année 1575. La ville les reçut avec grande joie, solennité, et processions; le contentement était général; les enfants eux-mêmes manifestaient que Notre-Seigneur serait bien servi en ce couvent. Il fut placé sous l'invocation de Saint-Joseph du Sauveur et fondé au cours de ce Carême, le jour de la fête de saint Matthieu.

20 Ce jour-là, les deux soeurs prirent l'habit dans la plus grande joie. La santé de Dona Catalina continua à s'améliorer. Son humilité, son obéissance, son désir d'être méprisée, prouvent la sincérité de ses désirs de servir Dieu. Qu'il soit glorifié à présent et toujours!...

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