dimanche 2 mars 2014

Homélie 8° dimanche A

Homélie 8° dimanche A
Père Guillaume , ocd – Carmel de Saint-Maur

 Ce serait comme le cholestérol, il y aurait le bon et le mauvais. Le souci est au cœur de notre liturgie de ce dimanche. Au début de cette messe, nous demandions au Seigneur la joie de le servir sans inquiétude. Dans l'épitre aux Corinthiens, Paul ne se soucie pas du jugement. Plus encore, l'évangile invite à ne pas se tromper de souci car notre «Père sait ce dont nous avons besoin» : « demain se soucie de lui-même ». Alors « pas de souci », comme le dit cette expression qui a envahi notre langage parlé et qui pourrait laisser croire que dans la vie, il n'y aurait aucune raison de s'inquiéter? L'inquiétude, au contraire, a mu les chrétiens tout au long des temps, l'inquiétude de servir Dieu et celle de servir leur frère: « tu nous as faits pour toi et notre cœur est sans repos (in-quiet) tant qu'il ne repose en toi» résume saint Augustin. Bref entre l'insouciance désinvolte et irresponsable de l'homme superficiel et l'inquiétude triste, sécuritaire ou solitaire de l'homme sans Dieu, le Seigneur nous invite à vivre la confiance et par là à découvrir une sagesse de vie. Méditons ces deux chemins.

En admirant les oiseaux et les fleurs, le Seigneur nous invite à croire en sa Providence.

Croire en Dieu ce n'est pas seulement croire en une cause explicative du monde mais en sa présence, son dessein d'amour et sa pourvoyance: «tout concourt au bien de ceux qui l'aiment ». Croire en Dieu c'est compter sur lui et sur lui seul, comme nous l'avons chanté dans le psaume. Là est notre combat spirituel. « Hommes de peu de foi! » nous stimule Jésus. C'était le combat des prophètes. Elie reprochait à Israël de claudiquer, c'est-à-dire de s'appuyer tantôt sur Dieu tantôt sur Baal. Nous aussi sommes un peu comme des hommes qui porteraient ceinture et bretelle: « on ne sait jamais ». Non, croire c'est faire un saut dans le vide, sans filet, ou plutôt avec Dieu comme seul filet. Interrogeons-nous: dans nos choix et nos manières de vivre, d'agir et de réagir, quels sont nos points d'appuis? «Tout cela les païens le recherchent ». En quoi notre foi motive, anime, spécifie notre vie?

Mais attention foi en la Providence n'est pas providentialisme c'est-à-dire démission de nos responsabilités ou naïveté que ce soit par peur, fainéantise ou manque de foi en les dons que Dieu nous donne. Nous ne sommes pas des oiseaux ni des fleurs. L'invitation à la vigilance ou la béatitude de ceux qui ont faim de la justice attestent qu'il y a un souci évangélique, qui est celui de la venue du Royaume. Alors, ni insouciance non évangélique ni athéisme pratique, comment vivre entre ces deux écueils? Au XVIII° siècle, Hevenesi, un jésuite hongrois, a formulé une maxime subtile. Parfois attribuée à saint Ignace lui-même et - ce qui est plus grave, souvent mal comprise - elle déjoue ces deux écueils en alliant foi et action, responsabilité de chacun et providence de Dieu: « Crois en Dieu comme si tout le cours des choses dépendait de toi, en rien de Dieu. Cependant mets tout en œuvre en elles, comme si rien ne devait être fait par toi, et tout de Dieu seul ». La force de cette formule est de faire comprendre qu'il n'y pas de séparation ni de dosage entre ce qui serait de l'homme et ce qui serait de Dieu: faire la volonté de Dieu c'est poser des actes qui sont entièrement de nous et entièrement de Dieu, entièrement responsables et entièrement confiants. Cela requiert d'être libre, c'est-à-dire libéré des attachements qui sont souvent la cause de nos soucis. Après le saut dans le vide et l'appel à la responsabilité, c'est le troisième aspect du chemin de la confiance que je veux méditer avec vous avant d'aborder le chemin de sagesse qu'elle inspire.

En nommant des inquiétudes fondamentales de notre vie, les textes de notre liturgie de la Parole nomment au fond certains de nos attachements, autant d'entraves et donc d'enjeux de notre combat spirituel et autant d'horizons de notre liberté: vis-à-vis des biens matériels, vis­-à-vis de nous-mêmes, vis-à-vis des autres et vis-à-vis de Dieu. Il ne faut pas attendre le Carême pour en parler ou plutôt à l'approche de celui-ci, cela permet de nous y préparer déjà.

En parlant de nourriture et de vêtement, l'évangile désigne notre rapport à la vie matérielle, aux biens et aux besoins de la vie. Il ne s'agit pas de nier leur importance. Au contraire, l'engagement chrétien concerne le souci matériel de nos frères: pensons à la scène du jugement dernier. Mais la vie ne se réduit pas à cela et nous ne sommes pas les sauveurs du monde mais les intendants des dons de Dieu, comme dit Saint Paul. Cela peut nous aider à évaluer notre échelle de valeurs et la manière dont les biens de ce monde nous occupent et nous préoccupent. Ensuite, la liberté de. Paul concernant le jugement, liberté vis-à-vis des autres (<<je me soucie fort peu de votre jugement ») et liberté vis-à-vis de lui-même (<<je ne me juge pas moi-même ( ... ) ; celui qui me juge c'est le Seigneur ») souligne que beaucoup de nos énergies et de nos préoccupations concernent notre image. Le combat du détachement est au fond celui de l'humilité véritable, qui est la vérité, c'est-à-dire le consentement redevable et joyeux à ce que nous sommes. La première lecture, enfin, montre que l'expérience subjective de l'abandon de Dieu et du tourment qui la caractérise peut être le lieu de la révélation qu'au contraire Dieu nous accompagne toujours. Là est la source de notre confiance. Si Dieu ne m'a jamais abandonné, pourquoi le ferait-il maintenant?

Plus largement, on le perçoit, la liturgie de ce jour propose une véritable sagesse de vie, façonnée par notre foi. C'est mon deuxième grand point ou chemin. Esquissons-en quelques traits saillants en reprenant simplement des phrases de l'évangile. « A chaque jour suffit sa peine» conclut l'évangile alors que Paul encourageait à « attend[re] la venue du Seigneur ». Pas de sagesse de vie sans un juste rapport au temps qui intègre la patience, la distance, lieux essentiels pour que se creuse la confiance ... « Cherchez d'abord et tout vous sera donné ». La logique du don et de la gratuité avec le sens de la primauté de Dieu, de ce qui ne se voit pas ni ne se mesure, est essentiel. «La vie ne vaut-elle pas; ne valez-vous pas? »: de manière semblable, la sagesse connait p:a- le sens des choses avec ce réalisme spirituel qui consent à ce qui se peut et à ce qui ne se peut pas (<< qui d'entre vous à force de souci peut prolonger son existence? »). Enfin, « regardez et observez» : l'action de grâce est la source de toute sagesse, de paix et de confiance. Au fond, la sagesse ainsi esquissée requiert « les yeux de la foi» dont nous parle notre père général, qui allient réalisme et espérance. Que l'expérience du Dieu vivant, présent et agissant dans nos vies, la prise de conscience humble et réaliste et l'offrande de nos soucis nous en fassent goûter la force, la paix et la joie ! Amen

 

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