lundi 20 février 2017

Homélie du 7ème dimanche TO A



Homélie du 7ème dimanche TO A
Carmel de Saint-Maur - Père Maurice Boisson

            Pas facile !
            Ces paroles de Jésus peuvent nous paraître incompréhensibles, surtout dans l’ambiance actuelle de violences : politiques, sociales, ou plus proches de nous. « Si on te met une gifle, tends l’autre joue ! »… « Si on te vole ton sac, donne aussi le numéro de ta carte bancaire !»… et le plus difficile : « Aimez vos ennemis ». On peut arracher la page, ou rester indifférents : c’est tellement impossible ! Mais ce n’est pas la solution, « on ne va pas se laisser faire ! »etc…
 
            Et si on essayait de comprendre un peu ? Même si cela nous secoue ou nous énerve, même si ce n’est pas dans le vent de la pratique actuelle !
            Et si ces paroles, apparemment décalées, étaient d’actualité et bienfaisantes pour les relations et le vivre-ensemble !

            D’abord, Jésus ne donne pas de recettes pour la défense et la sécurité de notre pays. Il n’est pas en campagne ! Il ne donne pas une liste de comportements, applicables partout et par tous, dans les situations de violence. Il attire notre attention sur nos dispositions intérieures, sur notre état d’esprit, qui conditionne nos façons d’agir et de réagir quand nous nous trouvons concrètement pris dans ou par la violence. Jésus nous indique un chemin, difficile mais bienfaisant. « Oeil pour oeil », c’était déjà un grand progrès pour gérer la vengeance, la riposte. On ne rend pas plus de mal que l’on en reçoit. Tu me casses une dent, je t’en casse une et pas la mâchoire ! Cela ne suffit pas, dit Jésus. Ne riposte pas au méchant coup pour coup. Il faut combattre le mal, il faut empêcher le méchant d’en faire. Tout l’Évangile en témoigne. Mais en refusant de prendre les mêmes moyens que ceux qui font le mal, en ne rentrant pas dans un courant de violence, où la violence, le coup pour coup,
s’enchaînent comme un feu qui se propage jusqu’à ce que tout soit détruit. Bien sûr, le mal ou le tort qui est fait doit être réparé. Il n’y a pas de miséricorde en solde, sans réparation du tort causé, sans contrition, sans volonté de changer. Si quelqu’un te met une gifle, dit Jésus, tends lui encore l’autre… L’autre joue : la joue de ton coeur qui refuse la violence. Cela laisse peut-être à celui qui t’a giflé le temps et l’espace de se reprendre … de se désarmer… et peut-être, qui sait, je te faire un bisou. S’il te remet une gifle, il devra répondre de ses actes.
            Cela paraît irréaliste. J’ai déjà rapporté ici ce que m’a raconté un ami prêtre, missionnaire dans un pays totalitaire. Près de chez lui, une femme subit un interrogatoire par un officier brutal. « Dépêchez-vous de me répondre » lui dit-il. Elle tarde. Il la renvoie brutalement : « Revenez demain matin ! Je n’ai plus le temps, je vais voir mon enfant malade. » Le lendemain, la dame revient, dit bonjour et demande à l’officier : « Et comment va votre enfant ? » Cet homme est resté désarmé. Il a complètement changé d’attitude. Sa violence et sa brutalité étaient désarmées par l’attention portée à son enfant par cette femme qu’il interrogeait. Désarmé par la douceur, la bonté… « Tends lui l’autre joue ».
            Au soldat qui avait giflé Jésus, Jésus a répondu : « Pourquoi me frappes-tu ? » (Jn18,23). On n’est pas dans les théories impossibles, ni dans la faiblesse. Dans les situations concrètes, Jésus nous presse de chercher les moyens de stopper la violence en son germe et en son développement, d’appuyer sur ce qui peut gripper et bloquer les automatismes de la vengeance, sans pour autant renoncer à la fermeté nécessaire ni à l’explication et à la dissuasion. Là encore, la clé est dans notre coeur, dans nos dispositions intérieures, d’où sortent, dit encore Jésus, les intentions, les actes bons ou méchants.
            Ce message est d’abord un rappel à réajuster sans cesse notre coeur, nos intentions, notre intérieur, à ce que nous sommes appelés à être : ajustés à l’Amour, l’Amour de Dieu, révélé dans la vie et le message du Christ. « Accorde de nous de conformer à ta volonté nos paroles et nos actes », c’était la prière d’ouverture.
            On n’a plus le temps d’aborder « Aimez vos ennemis », c’est trop important pour n’en parler que deux minutes. Ce message de la Parole de Dieu aujourd’hui, déroutant et apparemment loin de nos possibilités, est en fait un ferment, un levain pour des relations humaines ajustées au désir de Dieu sur la vie en société. Mission impossible ? Sûrement, par nos seules forces ! Chemin praticable et bienfaisant ? Possible, par l’accueil du don de Die, don de l’Amour qui nous rend donnant à notre tour pour une vie plus agréable.
            Laissons la parole à ceux qui ont vécu dans leur chair ces situations et le message de l’Évangile : les moines de Tibérine.
Frère Luc, médecin : « Commencer à aimer quelqu’un qui ne nous aime pas est une véritable création ». Pour l’un et l’autre.
Frère Christophe : « Dans le climat de violence où nous vivons, je suis renvoyé à ma propre agressivité et à mes complicités. Jésus me tire de cet abîme et me conduit, à la mesure de ma confiance en lui, vers une vérité, qui peu à peu me recrée. »

            Déroutante, cette page d’Évangile ? Sans doute. Mais un appel au meilleur de l’humain qui est en chacun. Ce meilleur qui ressemble à Dieu. Nous en avons tellement besoin !

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