Homélie du 7ème dimanche TO A
Carmel de Saint-Maur - Père Maurice Boisson
Pas facile !
Ces paroles de
Jésus peuvent nous paraître incompréhensibles, surtout dans l’ambiance actuelle
de violences : politiques, sociales, ou plus proches de nous. « Si on te
met une gifle, tends l’autre joue ! »… « Si on te vole ton sac, donne
aussi le numéro de ta carte bancaire !»… et le plus difficile : « Aimez
vos ennemis ». On peut arracher la page, ou rester indifférents : c’est
tellement impossible ! Mais ce n’est pas la solution, « on ne va pas se
laisser faire ! »etc…
Et si on
essayait de comprendre un peu ? Même si cela nous secoue ou nous énerve, même
si ce n’est pas dans le vent de la pratique actuelle !
Et si ces
paroles, apparemment décalées, étaient d’actualité et bienfaisantes pour les
relations et le vivre-ensemble !
D’abord, Jésus
ne donne pas de recettes pour la défense et la sécurité de notre pays. Il n’est
pas en campagne ! Il ne donne pas une liste de comportements, applicables
partout et par tous, dans les situations de violence. Il attire notre attention
sur nos dispositions intérieures, sur notre état d’esprit, qui conditionne nos
façons d’agir et de réagir quand nous nous trouvons concrètement pris dans ou
par la violence. Jésus nous indique un chemin, difficile mais bienfaisant.
« Oeil pour oeil », c’était déjà un grand progrès pour gérer la
vengeance, la riposte. On ne rend pas plus de mal que l’on en reçoit. Tu me
casses une dent, je t’en casse une et pas la mâchoire ! Cela ne suffit pas, dit
Jésus. Ne riposte pas au méchant coup pour coup. Il faut combattre le mal, il
faut empêcher le méchant d’en faire. Tout l’Évangile en témoigne. Mais en
refusant de prendre les mêmes moyens que ceux qui font le mal, en ne rentrant
pas dans un courant de violence, où la violence, le coup pour coup,
s’enchaînent comme un feu qui se propage jusqu’à ce que tout soit détruit. Bien
sûr, le mal ou le tort qui est fait doit être réparé. Il n’y a pas de
miséricorde en solde, sans réparation du tort causé, sans contrition, sans
volonté de changer. Si quelqu’un te met une gifle, dit Jésus, tends lui encore
l’autre… L’autre joue : la joue de ton coeur qui refuse la violence. Cela
laisse peut-être à celui qui t’a giflé le temps et l’espace de se reprendre …
de se désarmer… et peut-être, qui sait, je te faire un bisou. S’il te remet une
gifle, il devra répondre de ses actes.
Cela paraît
irréaliste. J’ai déjà rapporté ici ce que m’a raconté un ami prêtre,
missionnaire dans un pays totalitaire. Près de chez lui, une femme subit un
interrogatoire par un officier brutal. « Dépêchez-vous de me
répondre » lui dit-il. Elle tarde. Il la renvoie brutalement :
« Revenez demain matin ! Je n’ai plus le temps, je vais voir mon
enfant malade. » Le lendemain, la dame revient, dit bonjour et demande à
l’officier : « Et comment va votre enfant ? » Cet homme est resté
désarmé. Il a complètement changé d’attitude. Sa violence et sa brutalité
étaient désarmées par l’attention portée à son enfant par cette femme qu’il
interrogeait. Désarmé par la douceur, la bonté… « Tends lui l’autre
joue ».
Au soldat qui
avait giflé Jésus, Jésus a répondu : « Pourquoi me frappes-tu ? »
(Jn18,23). On n’est pas dans les théories impossibles, ni dans la faiblesse.
Dans les situations concrètes, Jésus nous presse de chercher les moyens de
stopper la violence en son germe et en son développement, d’appuyer sur ce qui
peut gripper et bloquer les automatismes de la vengeance, sans pour autant
renoncer à la fermeté nécessaire ni à l’explication et à la dissuasion. Là
encore, la clé est dans notre coeur, dans nos dispositions intérieures, d’où
sortent, dit encore Jésus, les intentions, les actes bons ou méchants.
Ce message est
d’abord un rappel à réajuster sans cesse notre coeur, nos intentions, notre
intérieur, à ce que nous sommes appelés à être : ajustés à l’Amour, l’Amour de
Dieu, révélé dans la vie et le message du Christ. « Accorde de nous de
conformer à ta volonté nos paroles et nos actes », c’était la prière
d’ouverture.
On n’a plus le
temps d’aborder « Aimez vos ennemis », c’est trop important pour n’en
parler que deux minutes. Ce message de la Parole de Dieu aujourd’hui, déroutant
et apparemment loin de nos possibilités, est en fait un ferment, un levain pour
des relations humaines ajustées au désir de Dieu sur la vie en société. Mission
impossible ? Sûrement, par nos seules forces ! Chemin praticable et bienfaisant
? Possible, par l’accueil du don de Die, don de l’Amour qui nous rend donnant à
notre tour pour une vie plus agréable.
Laissons la
parole à ceux qui ont vécu dans leur chair ces situations et le message de
l’Évangile : les moines de Tibérine.
Frère Luc, médecin : « Commencer à aimer quelqu’un qui ne
nous aime pas est une véritable création ». Pour l’un et l’autre.
Frère Christophe : « Dans le climat de violence où nous
vivons, je suis renvoyé à ma propre agressivité et à mes complicités. Jésus me
tire de cet abîme et me conduit, à la mesure de ma confiance en lui, vers une
vérité, qui peu à peu me recrée. »
Déroutante,
cette page d’Évangile ? Sans doute. Mais un appel au meilleur de l’humain qui
est en chacun. Ce meilleur qui ressemble à Dieu. Nous en avons tellement besoin
!
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